ANTHOLOGIE SUBJECTIVE oeuvre de CHARLES JULIET | 04.08.2024 | ATTENTE EN AUTOMNE | 2001
05/08/2024
Je suis resté plusieurs jours sans savoir quelle réponse donner à cette révélation. Après de longues tergiversations, j’ai décidé de lui écrire. Lui écrire non pour lui confier sans ambages ce qui avait pris possession de moi, mais pour simplement lui proposer une correspondance, avec l’espoir qu’assez vite je me sentirais autorisé à lui dire ouvertement ce qu’il en était. Certes, j’aurais voulu brûler les étapes, mais je pressentais qu’à vouloir précipiter les choses, je serais allé vers un échec. Il fallait que j’avance masqué.
Le soir du jour où j’ai pris cette décision, je suis resté à mon bureau. J’ai éprouvé le besoin d’attendre que tout le monde soit parti et je me suis préparé à écrire cette première lettre. Mais ce soir-là, je n’ai fait que rêver à elle, évoquer son visage, céder à des fantasmes, et le temps a passé sans que je puisse m’arracher à l’état dans lequel j’étais englué. Le lendemain, le surlendemain, j’ai renouvelé ma tentative. Mais sans plus de succès. J’écrivais quelques mots, une phrase, deux phrases, mais je ne pouvais poursuivre. Je ne savais que penser de cette impossibilité où j’étais de lui dire en toute simplicité mon souhait de correspondre avec elle.
Cette première missive, j’ai voulu l’écrire à la maison. Mais là encore toutes mes tentatives se sont soldées par des échecs. J’attendais que mon épouse et mes enfants soient allés se coucher, et soir après soir, isolé dans mon bureau, je m’installais devant une feuille blanche. Mais je ne réussissais qu’à m’arracher quelques phrases sèches, contraintes, des phrases dont je pouvais prévoir qu’elles seraient impuissantes à persuader Brigitte de me répondre favorablement. Au laboratoire, la conscience de mes responsabilités et de mes obligations avait entravé ma main. A nouveau ici, il se passait le même phénomène, mais pour d’autres raisons. Je suis un homme de rigueur et de devoir, et tenter d’écrire à Brigitte alors que Chantal, Marc et Jacqueline dormaient au- dessus de moi, me donnait le sentiment de les trahir, et ce sentiment m’écrasait. En luttant contre lui, je parvenais à consigner les phrases hésitantes qui se balbutiaient dans ma tête, mais développer les idées qu’elles contenaient s’avérait impossible. Quand arrivait minuit, je rangeais ces lettres avortées dans mon attaché-case, et le lendemain, les faisait disparaître dans notre broyeur de documents.
Charles JULIET, Attente en automne, Turbulences, Nouvelle p.135 à 137, 2001.
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